vendredi 9 avril 2010
Alice ou la plussoyance des femmes
Alice au Pays des Merveilles n’est pas un conte pour enfants comme les autres. Il n’est pas le médium narratif traditionnel par lequel on enseigne aux petites filles l’art et la manière de bien se comporter en société.
Bien au contraire, le conte s’ingénie à révéler qu’il leur est possible de se créer, de s’inventer, de déroger aux conventions sociales, de subvertir les normes de genre, de faire sauter les verrous de la bienséance pour devenir celles qu’elles veulent être, pour résister à l’anéantissement de leur plussoyance par une société sinistre, conformiste et soumise à la médiocrité.
L'Alice de Tim Burton (une interprétation plus qu'une adaptation du conte de Lewis Carroll) est cette jeune fille qui refuse le devenir imposé aux femmes par les hommes et consenti par elles :
- la mère, veuve austère qui sauvent bien les apparences
- la sœur, épouse corsetée ayant fait un bon mariage, bien que déjà cocufiée, afin de ne pas être un fardeau pour maman
- la tante, vieille fille engluée dans l’obsession du prince qui ne viendra jamais l'en délivrer.
L'Alice de Tim Burton a une dimension ontologique : c’est l’avènement de l’être femme plussoyant. L'absurde, le nonsense, y opère comme un système cognitif. Advient non pas l’éternel féminin, princesse formol qui n’attend que le baiser du prince pour s’éveiller à la vie, mais la femme plussoyante, autonome et héroïque, puissante et flamboyante, in-femme et rugissante prenant des risques, s’assumant et s’amusant, poursuivant jusque dans son terrier un lapin blanc pressé, dépassant les limites, grandissant, rapetissant selon ses besoins d’occuper l’espace au temps T, tapant la discute avec une chenille bleue kiffant le narghilé, franchissant les frontières, osant remettre en cause son identité, parcourant le royaume, transgressant, affrontant Bandersnatch et Jabberwocky.
Tout au long de son chemin initiatique, Alice développera sa plussoyance instillée par l’éducation du père qui lui a donné la passion des possibles (il acceptait 6 choses impossibles avant son petit-déjeuner) mais neutralisée par la mère désormais unique référent éducatif depuis la mort du père et qui tente vainement de faire rentrer Alice dans le moule victorien.
Dès les premières scènes, on perçoit le potentiel frondeur d’Alice. Dans la calèche qui les mène à la réception, Alice expose à sa mère son refus manifeste de porter bas et corset. Presque insolente, la mode serait-elle au port d’une morue comme couvre-chef que vous y consentiriez.
Sur la piste de danse, lors d’un quadrille avec son hypothétique fiancé, Alice lui confesse une fulgurance : elle a eu une vision, toutes les dames portaient le pantalon et ces messieurs des robes ! Ultime transgression des genres par l’inversion des codes vestimentaires. Garder vos visions pour vous, dans le doute, préférer s’abstenir, lui rétorqua-t-il. Alice maussade, anticipant une vie matrimoniale ennuyeuse piquée de brimades, continue sa rêverie en levant les yeux au ciel, un V d’oies sauvages lui montre la voie : voler. De ses propres ailes...
A l’inverse de l'Avatar de James Cameron, l'Alice de Tim Burton choisit de quitter le Pays des Merveilles pour revenir dans le monde réel. Dans sa croyance que le Pays des Merveilles était son rêve, elle agissait pensant pouvoir tout y maîtriser. Ayant conquis sa plussoyance par l'apprentissage de sa témérité, elle est désormais prête à créer son devenir dans le monde réel.
Alice refuse la demande en mariage, préfèrant s'entretenir business avec l'associé de son père et choisit d’emprunter la voie du commerce colonial. Destination extrême-orientale pour ouvrir un comptoir en Chine. La chenille s’est métamorphosée, un papillon glisse sur son épaule.
Alice impérialiste aux Pays des Colonies. L’aventure n’attend pas. Plussoyante. Femme conquérante et seule. Femme qui trace sa voie. Femme qui met les voiles. Femme à la proue d'un imposant trois mats.
Une histoire qui finit bien sans « qu’ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ». Alice naviguant vers des horizons lointains, inexplorés et profitables. Sans être mue par une quelconque passion amoureuse si ce n’est la passion des possibles.
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Excellente critique, j'aurais adoré que le film fut aussi fin que ta vision.
RépondreSupprimersoumya
on dirait que tu as aimé ce film... est-ce le cas ? j'aurais aimé écrire un article entier en réponse au tien mais je ne prends pas le temps car je pars tout à l'heure à Bruxelles... donc rapidement : pour moi le seul intérêt de ce film est esthétique. L'histoire est bien trop lourde et téléphonée d'un bout à l'autre (et notamment la métaphore de la chenille qui devient papillon...). Tout les ficelles qui sont sensées montrer l'épanouissement de la femme sont archi-visibles (par exemple dans le dialogue du début entre mère et fille et entre Alice et son futur) et super lourdes, on en a assez. Ca ne rappelle que trop que malgré son statut à part du point de vue américain, Burton reste pour nous un américain et produit du cinéma américain. Aucune ambiguité, une construction prévisible, on s'attend à tout. Au moins, dans l'oeuvre de Disney, l'univers était véritablement absurde. Ici, Alice a un double but : tuer la méchante bêbête et trouver sa place en tant que femme libérée dans une angleterre asservissante. La seule chose que j'ai aimée est le personnage de la reine blanche et de ses bras sans cesse levés. Pour moi ça reste quand même du mauvais cinéma, tout comme Avatar, dont le seul intérêt est l'esthétique onirique. je n'imagine pas que tu sois d'un autre avis... bizz
RépondreSupprimerO.K.
bravo! j'ai la meme vision du film, et je suis en train d'écrire un article sur la plussoyance! Merci!!
RépondreSupprimerje n'ai pas vu le film, mais j'aime le tiens !!! Viva "la passion des possibles."
RépondreSupprimerJ'ai aussi adoré le film... Et je veux que le mot plussoyance s'ajoute à la langue française...
RépondreSupprimerque signifie le terme "plussoyance" ?
RépondreSupprimerMerci d'avance
je ne sais pas d'où vient le terme "plussoyance" ni ce qu'il signifie, il semble que ce soit un pur néologisme mais la façon dont il résonne dans le film de Tim Burton me fait penser au "conatus" de Spinoza : capacité à persévérer dans son être, force qui se tire de soi, exercice de sa puissance d'exister (vim existendi) : connaissance, substance, puissance, plussoyance
RépondreSupprimerà vous de nous dire comment vous l'entendez...
j'ai moi aussi la même vison du film que toi et contrairement a d'autre je trouve se film assez imprévisible sur certain passage je ne suis qu'une ado mais pourtant je trouve que ce film a bien des sens caché et j'adore les films que fait Tim burton c'est fil sont tous tellement extravagant j'espere que plus tard dans mon avenir j'orais moi aussi assez de "plussoyance" qu'alice car comme tout le monde le sait la vie n'est pas toujours rose
RépondreSupprimerenfin bref merci enfin quelqu'un en accord avec moi dommage que les autres personnes de mon entourage ne le comprenne pas comme sa
Nous ne pouvons demander aux autres de vivre ou de penser comme nous…hélas, c’est ce que les autres exigent de nous bien souvent. En revanche, il est de notre responsabilité de vivre comme nous l’entendons, en adéquation avec nos valeurs morales et notre intuition existentielle. Il est regrettable qu’Alice de Tim Burton ne touche pas plus de femmes et de jeunes filles, car elle dénonce justement l’archétype de la femme en devenir telle que construite par le système patriarcal, une potentielle bonne épouse future bonne maman, juste ce qu’il faut de douceur, de bienséance et de beauté pour être l’accessoire parfait, objet de désir de l'homme du monde. Son cheminement initiatique dans le monde des merveilles est celui de la naissance d'une conscience de classe. Comme elle, n’attends pas de ton entourage qu’il te comprenne ou qu’il t’incite à déployer ta plussoyance. Bien au contraire, tout, de la publicité à tes proches, t’inciteront "pour ton bien" au conformisme pépère. Nous devons persévérer dans notre être, cela ne sera pas aisé, on pardonne moins aux femmes leur insurrection, mais si nous sentons que les actes de nos vies vibrent à l’unisson de notre pensée alors nous serons plus fortes, et nous rencontrerons celles qui entendent comme nous exister.
RépondreSupprimerVotre article est absolument génial ! Non seulement pour le plaisir de le lire mais en plus celui de faire prendre conscience de ce qu'il y a "derrière" le film bien que l'on comprenne parfaitement dès le début le but, si je puis dire, d'Alice. Car ce n'est pas forcément comme un objectif que j'ai vu ceci mais plus comme une envie. Au commencement du film, quand elle arrive à la réception avec sa mère, elle m'a de suite inspiré l'insouciance. Pourtant, elle ne l'est pas tant que ça. C'est notamment à la fin qu'elle devient vraiment mature et inspire la liberté. Elle pense par elle même et n'entre pas dans le moule comme vous l'avez dis.
RépondreSupprimerBel article ! Et bonne continuation.
Merci pour ton article ,
RépondreSupprimerj'ai pu voir grâce a toi une autre facette de ce film . J'aimerais avoir plus de plussoyance mais aussi plus d'imagination !
J'ai toujours admiré Carole Lewis pour avoir écrit un livre et surtout créé un monde aussi délirant et fantastique ,j'aimerais un jour pouvoir en faire autant . Quand j'ai vu le film de Tim Burton j'ai tout de suite adoré sa perception de l'histoire et j'en suis presque arrivée a oublié la version originale ! En fait je voit plus ce film comme une suite que comme une adaptation
Quoi qu'il en soit merci encore !