dimanche 20 juin 2010

Alice, au-delà du principe de phallus


Phallus comme signifiant du désir, pouvoir symbolisé, acception conceptuelle telle qu’échafaudée par la psychanalyse.

Sigmund Freud et son idée de relation à l’objet, à son identification (être) puis à sa perte (avoir) : je l’ai, c'est-à-dire je ne le suis pas.

Jacques Lacan et sa thèse selon laquelle le corps entier de la femme est le phallus.



Elle est le phallus. Lui a un pénis. Etre et avoir. Tragique des hommes : leur ingéniosité en matière de brimades du corps des femmes atteste de ce mal être. Une des raisons pour laquelle les « hommes de pouvoir » aiment à collectionner les conquêtes féminines et les puissantes berlines, autant de phallus sur roues et sur pattes ?

Le corps des femmes, force vitale génésique, puissance désirante qui oriente vers, génialité de l'avec, manifestation libido. Jacques Lacan parle de la libido comme d'un organe-instrument. Dans cette perspective, le corps d’Alice est mesurant, Alice géomètre du désir. Omnipotence d'un corps en devenir. Dans la version de Tim Burton, le Chapelier fou interpelle Alice en ces termes : « Pourquoi es-tu toujours trop grande ou trop petite ».

Alice, idéal devenir. « La simultanéité d’un devenir dont le propre est d’esquiver le présent. En tant qu’il esquive le présent, le devenir ne supporte pas la séparation ni la distinction de l’avant et de l’après, du passé et du futur. Il appartient à l’essence du devenir d’aller, de tirer dans les deux sens à la fois : Alice ne grandit pas sans rapetisser et inversement », Gilles Deleuze.


Symbolique phallique au Pays des merveilles

Tim Burton déploie à outrance l’allégorie phallique des paysages et personnages :
- corps grandissant-rapetisssant
- clé
- forêt de champignons et hibiscus géants
- épée Vorpaline
- chenille Absolem
- chapeau du Chapelier fou (Alice voyage sur le chapeau)
- long cou du Jabberwocky dont Alice tranchera la tête
- jumeaux testiculo-morphiques Tweedledee and Tweedledum qui accompagnent Alice dans ses aventures
- tête hypertrophiée de la reine rouge, gland mal pensant, excès de phallique, « Qu’on lui coupe la tête ! » est sa devise
- parmi les ingrédients de la potion rikiki que concocte la Reine blanche pour Alice afin que’elle puisse retrouver la bonne taille et se glisser dans l’armure qui fera d’elle une héroïne : des doigts humains et un crachat de la Reine blanche (si corps femme = phallus, crachat = semence vitale)


















Dévoiement phallique des femmes

Si le film de Tim Burton est résolument pro-femme (plussoyante), il n’hésite pas à mettre en déroute les abus de pouvoir perpétrés par des femmes (phalliques). Le royaume du Pays des Merveilles est divisé entre la Reine rouge et la Reine blanche. Deux visions du pouvoir. Elles sont sœurs mais tout les oppose.



L’une, fille favorite, bien-aimée du peuple, rayonne ; tandis que l’autre dissout son amertume dans la laideur de ses actes. Elles partagent cependant quelques traits : toutes deux sont très coquettes, fétichisme du vêtement de la femme phallique. Est esquissé que le mari de l’une convole avec l’autre. Les Rois, comme les enfants, sont hors champ. Le matriarcat règne. Pour le meilleur et pour le pire.

Le pouvoir de la Reine rouge est fondé sur la terreur, la crainte et la menace. Elle pêche par excès de peine capitale par décapitation, « Qu’on lui coupe la tête ! » est sa devise. Son armée, un jeu de cartes rouges au cœur noir. Elle est entourée d’une cour de faussaires qui multiplie les prothèses (nez, goitres, etc) pour flatter la Reine qui n’a de grâce que pour les protubérances.





La Reine blanche, déchue, fonde son autorité sur l’amour. Elle règne sur des courtisans qui sautillent dans leur apparat immaculé qu’ils se refusent à souiller au combat pour débouter la Reine rouge et pacifier le royaume. Son excès de maniérisme et son a-pugnacité lui ont fait perdre le pouvoir. Elle est désarmée : Tim Burton figure cette impotence par une posture ridicule qui la fige constamment les bras suspendus. Elle dispose cependant d’une armée de pions d’échecs.




Ces deux gouvernements féminins sont présentés comme excessifs, malsains et inopérants. Le pouvoir est aux femmes, mais elles n’en font pas bon usage. Jeu de cartes contre jeu d’échecs. Le royaume est dans l'impasse. La femme plussoyante est cette femme qui n’a pas renoncé à exercer sa propre violence et qui sait la mettre à profit. Alice est celle par qui le royaume retrouvera la grâce.


Le corps phallus, la marque et le désir

Pour Sigmund Freud, l'objet perdu est le corps de la mère. Pour Jacques Lacan, il s'agit d'un mythe imaginaire, le manque n'a pas de référent. Pour Tim Burton, l’objet perdu est la plussoyance : « Tu as perdu ta plussoyance », regrette le Chapelier fou en s’adressant à Alice.

Ainsi, chez Tim Burton, les trois ordres : réel, symbolique et imaginaire se recoupent en trois points de repère concernant le phallus : le signifiant, le corps, le sexuel.

Si le phallus a cette particularité de signifiant c'est qu'il est marqué par la castration. Pour Jacques Lacan, « le complexe de castration est le rapport d'un désir d'une part, avec, d'autre part, ce que j'appellerai dans cette occasion une marque ». Le phallus doit être marqué de quelque chose qui témoigne de la castration. Et c'est aussi quelque chose qui a à voir avec le désir. D'où le lien entre la marque et le désir.

Chez Tim Burton (évènement qui n’a pas lieu dans le conte de Lewis Caroll), Alice dès son arrivée aux Pays des Merveilles est blessée, marquée au bras droit par le Bandersnatch qui lui assène un coup de griffes : 3 plaies linéaires (signifiant, corps, sexuel ?) au bras droit, bras par lequel elle tranchera plus tard la tête du Jabberwocky avec l’épée Vorpaline.



Le Bandersnatch (snatch en argot désignant le sexe féminin) est figuré dans le film par un monstre poilu, gueule immense pourvue d’une dentition prolixe (allusion au mythe du vagina dentata ?). Le Bandersnatch est-il une allégorie du sexe féminin castrateur qui imprime sur le corps d’Alice la marque qui fera d’elle le phallus ?



Alice doit récupéré l’épée Vorpaline, qui se trouve être dans la tanière de la bête. Alice dans la reconquête de sa plussoyance outrepasse ses peurs et par un habile troc (elle rend au Bandersnatch l’œil que la souris lui avait arraché pour sauver Alice) réussit à s’introduire dans l’antre du danger. La plaie (marque) s’est enflammée. Le bras d’Alice la fait souffrir (complexe de castration ?). Satisfait d'avoir recouvrer sa vision binoculaire, le Bandersnatch offre un soin à Alice en léchant sa plaie. La plaie cicatrise. Mais la marque restera.


Dépassement phallique et reconquête plussoyante

Le Pays des Merveilles selon Tim Burton est donc ce voyage initiatique par lequel une jeune fille passe l’épreuve du désir (marque/castration) qui fait d’elle le phallus (signifiant, pouvoir symbolisé). Cependant Alice dépasse cet état et son complexe de castration par la reconquête de sa plussoyance (objet perdu).

Ainsi, une fois revenue dans le monde réel, Alice ne peut imaginer comme destinée le mariage. Plussoyante, elle n’est :


- ni femme transie dans le complexe de castration (auto-dénigrement, phallo-mimétisme)






- ni femme possédée par le dévoiement phallique (fétichisme du vêtement, mascarade)












- ni femme obsédée par l'envie du pénis (mari, enfant)


















Là où chez Lacan la femme ne se définit que par la négative (« la femme n'existe pas »), là où chez Freud, la fille ne se définit que par ce qu'elle voit chez le garçon et dont elle est dépourvue, ici Burton, énonce la positivité de la femme, un devenir plussoyant.

Nous la nommerons désormais « phlame » cette femme ontologiquement châtrée à la conquête de sa plussoyance, en pur devenir.